liberté
2 septembre 2005 / 29 juin 2006
01, 2 septembre 2005,
Ils s’appelaient Fernand Hervé, Roger Mallard,
Passionnés par la mer,
Leurs chantiers sont nés au cœur même de La
Rochelle, sur la cale des chantiers, maintenant parking Saint Jean d’Acre.
En 1973, ils ont inventé le
Le bébé a grandi…
Plus de 600 professionnels de la plaisance sont
cette année au rendez-vous.
Le dernier des quatre inventeurs de cette
formidable manifestation, Henri, nous a quitté au printemps dernier. Le tout
nouveau bateau de son chantier, en hommage à son créateur, porte son nom :
« AMEL 54 ».
Je trouverai bien un peu de temps, dans l’après
midi du mercredi 7 septembre, pour profiter de l’invitation de la Communauté
d’Agglomérations de La Rochelle, qui offre une entrée à ses administrés. Il me
suffit de passer la retirer à la mairie dont je dépends.
Je visiterai les allées des stands à terre pour
admirer le dernier cri des équipements maintenant indispensables.
Je déambulerai sur les pontons encombrés, et je
ne rechignerai pas à attendre un peu mon tour pour visiter le bateau de mes
rêves.
Je croiserai peut-être Maud Fontenoy, la
Marraine de cette édition, qui a traversé le Pacifique à la force des bras.
Je flânerai dans le Village bois, et j’y
regarderai travailler les artisans et charpentiers de marine.
Je m’arrêterai chez les amis de la Guadeloupe,
dont la tente est emplie de parfums et de sons évocateurs.
Et si je suis pris ce jour là, eh bien, je sais
que le
Mais, dans mon carnet, j’ai noté une priorité
absolue :
Le soir du samedi 10 septembre, j’irai à pied
sur les rives du chenal de La Rochelle, entre la Médiathèque et la station
météo du Bout Blanc, et j’admirerai le fabuleux spectacle de Voiles de Nuits,
avec l’évocation de l’histoire maritime,
Et j’aurai une petite pensée pour ceux qui, il
y a maintenant 32 ans, ont osé imaginer que les salons n’étaient pas réservés à
notre seule capitale.
02, 9 septembre 2005, Village bois
Dans le
En regardant du haut du quai, j’admire cinq des
bateaux qui vont demain participer à Voiles de Nuit. Le plus ancien, « ARGO »,
date de 1909, et Jean Marie m’a déclaré qu’il a « un cul de poule
magnifique ». Quelques-uns des animateurs de ces véritables monuments
historiques sont là, prêts à répondre à mes questions et à me faire partager
leur passion. J’y passerais des heures…
« Bois » a très longtemps été
synonyme de vieille marine, de bateaux anciens, de bout’s en chanvre et de
voiles en coton d’Egypte, de bordés plus ou moins étanches, de senteurs
d’étoupe, de brai et de goudron, de sons de marteaux à calfater, de coups d’herminette,
de chants de marins.
Cette marine était également associée à une
certaine difficulté de navigation, et entretenait quelque peu son
inaccessibilité.
Le village bois présente aujourd’hui ce que
l’on peut réaliser dans des techniques avancées et éprouvées, grâce à une mise
en œuvre moderne alliée à une matière première antédiluvienne. Ce qui était
hier de l’artisanat est maintenant mieux rationalisé, mais comme le bois ne se
laisse pas torturer, le résultat est nécessairement harmonieux.
Les 20 chantiers ici présents exposent des
bateaux qui restent à taille humaine, qui ont leur personnalité, auxquels il
faudra un peu s’attacher pour en tirer parti… Ce sont des bateaux qui ne
laissent pas indifférents, réalisés par des artisans qui aiment leur métier,
utilisés par de véritables amateurs, au vrai sens du terme.
Et ce n’est pas par hasard qu’un stand est tenu
par les compagnons du devoir. Ces perfectionnistes ont bien compris toute la
richesse de la marine en bois, et savent la combiner avec les technologies les
plus avancées.
En visitant le village bois, paradoxalement, je
suis convaincu d’avoir fait un tour dans le futur.
03, 16 septembre 2005, Transat 650
Depuis quelques semaines, une véritable
escadrille de petits bateaux, tous semblables, s’est constituée dans le bassin
des chalutiers.
Tels les hirondelles qui se rassemblent sur nos
fils avant leur migration vers le Sud, ils se sont réunis ici pour préparer
leur départ, et ils s’envoleront demain 17 septembre, à 17 heures 17
exactement, pour la « Transat 6.50 Charente Maritime / BAHIA »
Cette course, qui en est à sa 15° édition,
réunit 72 concurrents.
En solitaire sur des bateaux monocoques de
Un périple de plus de plus de 4.000 Milles
marins, soit près de
Même si
Tous doivent satisfaire à des règles
d’équipement et d’armement de sécurité très strictes.
Et comme on ne remplacera jamais la compétence
humaine par du matériel, chaque concurrent doit avoir réalisé avec son bateau
un parcours de qualification de 2000 milles, en solitaire, et avoir suivi un
stage de survie spécifique.
Ces marins ont l’envie de naviguer, ça se voit,
ça se ressent, ça se comprend à leur attitude, à l’envie qu’ils ont montrée de
nous faire partager leur passion, tout au long des journées de préparation
qu’ils ont passées au Bassin des chalutiers.
Alors, demain, je leur dirai un petit au revoir
depuis le pont du Gabut, qu’ils passeront à partir de 15 h, j’irai sur la côte,
après
Bonne chance, les hirondelles !!
04, 23 septembre 2005, Pollution
La semaine dernière, vous avez admiré
Ils sont maintenant au milieu de la grande
mare, en route vers les Canaries et le Brésil, et ils vivent leur vie de
traverseur d’océan. Mais comme nous tous, ils restent confrontés à un problème
crucial de notre société : la collecte des ordures ménagères.
Si, en haute mer, il est possible de rejeter ce
qui est rapidement biodégradable, tous les marins dignes de ce nom ont
maintenant à cœur de rapporter à terre les autres résidus, afin qu’ils soient
traités en fonction de leur nature.
Alors, dans leur préparation, nos coureurs de
vagues ont éliminé le plus possible les emballages inutiles, ils ont choisi des
conditionnements pratiques et adaptés, et ils ont quelques sacs poubelle, qu’ils
débarqueront à la prochaine escale.
Cette prise de conscience de notre
responsabilité dans ce domaine est récente, et il n’était malheureusement pas
rare, il y a seulement quelques années, que la mer soit considérée comme une
décharge, y compris par ceux-là même qui en étaient les plus proches.
Une conscience collective s’est enfin
réveillée, quelques voix se sont élevées, parmi lesquelles, celle de David
Beaulieu qui, avec l’association Ecomer et l’appui des ports de plaisance, fait
en Charente maritime et sur nos cotes la chasse aux sacs et emballages
plastique, aux piles usagées, aux eaux souillées des fonds de cales...
Plusieurs coureurs ont adopté cette juste
cause, et certains en sont même maintenant les ambassadeurs. Tous ont à cœur
d’adopter une attitude responsable, afin de tenter de protéger notre milieu et
notre futur.
De notre coté, nous pouvons également
facilement utiliser les nombreux services que le port de plaisance met
gratuitement à notre disposition, afin que notre avenir ne soit pas empli de
mazout, d’huile de vidange, de mercure ou de bouts de plastique..,
Alors, pour que la mer nous réserve encore ce
qu’elle a de meilleur, à nous de jouer.
05, 30 septembre 2005, Conrad Cook & sails
Deux constats s’imposent :
Le premier, c’est que la mer a toujours été un
incontournable vecteur de communication, d’échanges, de progrès.
Les civilisations se sont développées à partir
des côtes, les grandes découvertes ont été menées en bateau, par des
explorateurs qui étaient des marins.
La marine nationale est, sur toutes les mers du
monde, l’un de nos meilleurs ambassadeurs.
Le second, c’est que la table, lieu de plaisir
et d’expériences en tous genres, constitue, elle aussi, un espace privilégié de
convivialité et d’échanges.
Quoi de plus naturel, dans ces conditions, que
d’allier la table et la mer, la cuisine et la régate, pour une confrontation au
sommet, un combat des chefs, que ceux ci soient grands ou petits, amateurs
éclairés ou professionnels étoilés.
Les plats, qui seront débarqués à partir de 15
h à la capitainerie du bassin à flot, devant l’aquarium, seront jugés par de
grands chefs, dont Philippe Etchebest, de Saint Emilion.
Le vainqueur aura su tirer les meilleurs bords,
et aura également dû ménager un peu le confort de son chef et de ses marmitons,
qui, lors des éditions passées, nous ont étonnés par leur créativité et par les
réalisations faites dans des conditions parfois spartiates.
Tous les participants, en tous cas, auront eu
l’occasion de se rencontrer, d’échanger des savoir-faire, que ce soit dans
l’art de tirer sur les écoutes ou dans celui d’élaborer un plat et de dresser
une assiette.
La complicité de la table et de la mer, c’est
une évidence, c’est demain à La Rochelle, et je crois qu’en me dépêchant, je
pourrais encore m’inscrire auprès de la Société des Régates Rochelaises
06, 7 octobre 2005, Eclipse
C’était beau, lundi dernier. Une éclipse
annulaire, pas complète, d’accord ! Mais, avec le soleil d’été qui
chauffait bien dans cette matinée, la différence de température était
parfaitement perceptible, la luminosité étrange montrait un quelque chose de
pas normal, et, quand on avait pris la précaution de se munir des verres
protecteurs adéquats, le spectacle était superbe.
Il nous faudra maintenant attendre 54 ans…
54 ans pour observer encore, ici, dans les
pertuis, une éclipse de soleil.
Mais celle là sera totale.
Nous sommes, navigateurs, privilégiés et
particulièrement sensibles à ce qui se passe dans le ciel. Peut-être parce que
nous avons un peu plus de temps, que nous pouvons prendre quelques instants
pour regarder autour de nous, pour admirer le spectacle toujours nouveau que
nous joue dame nature.
Peut-être parce que, un peu protégés des
miasmes de notre civilisation, nous pouvons voir et regarder les étoiles
interdites aux parisiens, et même aux citadins, tant la pollution les éloigne
d’eux, tant la lumière omniprésente les cache à leurs yeux.
Et même sans naviguer, une simple balade sur la
côte nous permet de profiter pleinement du jeu des étoiles et des planètes, d’observer
ce qui autrefois effrayait nos ancêtres, de jouir d’un véritable rayon vert,
d’apprendre à l’attendre, à reconnaître sa venue, à en annoncer l’apparition.
Les moyens de positionnement modernes
permettent de situer le bateau sans quitter le confort douillet de la table à
cartes. Autant naviguer dans son salon…
Sans vouloir contester l’utilité des
positionneurs, des satellites, des programmes sophistiqués, restons éveillés au
contact direct, à l’observation des éléments réels.
C’est ce réel là qui nous fera le mieux rêver,
qui nous permettra de prolonger à l’infini nos navigations, mieux que tous les
programmes virtuels alambiqués de notre civilisation dite moderne.
07, 14 octobre 2005, Superstitions
Chacun le sait, il ne faut pas être superstitieux,
ça porte malheur…
Mais en mer, les idées ont la vie dure, on sait
qu’il est préférable d’éviter certaines attitudes et qu’il convient de
respecter quelques us et coutumes.
Certains ont une simple origine
pragmatique : à moins d’être Cap-Hornier, on ne pisse pas au
vent ! ça évite certains accidents…, et même les Cap-Horniers ne
s’aventurent pas à de telles expériences…
Emporter des oeufs durs à bord, c’est signe de
grand malheur, car la Bigouden qui préparait le frichti pour son mari de marin
pêcheur, lorsqu’elle en était très amoureuse, elle lui concoctait de bons
petits plats, pour sa gamelle de la journée… Mais, si d’aventure elle éprouvait
un peu moins d’intérêt pour son époux, un peu trop pour le guilledou, elle
n’avait plus le temps, elle lui flanquait deux œufs durs « et ça ira bien
comme ça !!! ». Alors, le pauvre marin breton devait commencer à se
poser des questions…
Le louis d’or sous un mat n’a jamais,
techniquement, aidé à en régler le haubanage, mais on dit que, si la coutume
n’était pas respectée, le mat était en grand danger.
Siffler pour faire venir le vent, c’est
peut-être efficace, mais ça sert surtout à passer le temps, à moins que ça
n’agace les oreilles des autres…
Une présence féminine à bord était souvent
considérée comme périlleuse, mais n’est-ce pas le reflet d’une époque
révolue ?
Le
fameux animal aux longues oreilles, le
cousin du lièvre, dont on fait d’excellents
pâtés, alimente, sans doute, les
croyances les plus tenaces. Peut-être parce qu’un jour, les
vivres étant
épuisés, le cuisinier du bateau avait subtilisé le
chat du bord et l’avait
servi au repas, le faisant passer pour un civet ? Les rats
n’étant plus
chassés, la cargaison avait été perdue, les
cordages rongés, le bateau démâté…
Mais alors, pourquoi tous les enfants des
navigateurs d’aujourd’hui se promènent-ils tranquillement sur les pontons et
sur
08, 21 octobre 2005, Sommeil et
récupération
Les solitaires de la transat 6.50 Charente
Maritime Bahia sont partis le 17 septembre de nos pertuis, pour s’en aller
quérir soleil et gloire en traversant l’océan.
Après l’escale aux Canaries, d’où ils ont
repris la mer le 8 octobre, ils sont aujourd’hui à environ 1000 Milles de
l’arrivée, soit un peu moins de 5 jours.
Mais comment diable font-ils, ces navigateurs,
pour se débrouiller tout seul sur leur bateau, pour manœuvrer, naviguer,
régler, manger, récupérer, résister…, et ce pendant plusieurs semaines, en
continu ?
« Comment font-ils pour ne pas
dormir ? » est la question la plus fréquente.
Justement, ce n’est pas la bonne question. Il
faut plutôt se demander « comment font-ils pour dormir ? » Car
c’est bien là le vrai problème, arriver à profiter de la plus petite occasion
pour se reposer, s’économiser, s’assoupir en sursaut, exploiter quelques brefs
instants de conditions favorables, pendant lesquelles le pilote automatique
barrera le bateau comme un grand, et permettra à son skipper de jeter un œil
sur la nav’, de faire la manœuvre idéale, de se relaxer, de se réchauffer, de
se nourrir, de se changer, d’essayer de se mettre, pour quelques instants, hors
de la course, du bateau, des vagues, du vent, du bruit, des mouvements…
Cette capacité à se reposer vite s’éduque et se
cultive, elle est le fruit d’une bonne connaissance de soi, d’une excellente
forme physique, d’une diététique rigoureuse.
Et puis chacun a ses petits trucs, ses astuces
de vieux briscard. L’un déterminera, en entraînement, ses rythmes propres, et
tentera de se reposer dans les périodes qu’il a reconnues comme les plus
efficaces. Un autre profitera de la moindre opportunité, et, attentif même dans
son sommeil aux changements de mouvement du bateau, il saura se réveiller
immédiatement à la moindre alerte. Certains, dans des conditions favorables,
lorsque le temps le permet, parviendront à dormir presque une heure et demie,
soit un cycle complet, faisant confiance à la sonnerie d’un réveil puissant
pour les tirer des bras de Morphée.
Mais c’est sûr, les premiers auront peu dormi.
« Que le veilleur gagne » !
09, 28 octobre 2005, Les
communications
Allô Saint Lys ?
ça ressemblait un peu, quelquefois, au
« Papa Tango Charly » de Mort Schumann…
C’était la BLU, bande latérale unique, qui
permettait de correspondre, avec des moyens limités, en quelque endroit de la
planète que l’on se trouve, par le biais d’une station à terre, qui, pour la
France, était Saint Lys Radio, prés de Toulouse. Et il y avait une réelle
complicité entre l’opérateur, tranquillement installé derrière son pupitre, et
le radio du bord qui, dans des conditions parfois difficiles, arrivait à
transmettre sa position, donnait des nouvelles aux terriens, préparait et
organisait les travaux d’une prochaine escale…
Il fallait choisir la meilleure bande de
fréquence, en fonction de l’heure et de la position géographique, on devait
attendre son tour… « Vous êtes numéro quatre », et, bien obligé de
laisser en veille et de rester à l’écoute pour ne pas rater son tour, on
entendait forcément la commande d’avitaillement d’un super tanker, qui n’oubliait
pas, pour la cuisine du pacha, les alcools et les cigares, on apprenait, à
notre corps défendant, les frasques d’un matelot ou d’un patron de pêche, on
participait et on applaudissait aux derniers exploits du petit dernier d’une
sympathique famille qu’on ne connaissait pourtant pas… Bref, on participait à
la vie de tout ce monde qui partageait le même univers, celui des
radiotéléphonistes.
Sur une fin de traversée de l’Atlantique, je ne
parvenais pas à joindre Radio Martinique. Finalement, je ne sais plus par quel
miracle, j’arrivais à avoir l’opérateur en ligne. « Ah Coulirou, on vous
attendait, mais vous savez, ils ne vous ont pas donné les bonnes fréquences, en
métropole… Attendez, j’oriente mes antennes ». Lui aussi, il faisait
partie de la famille, il connaissait ses clients, il voyageait à travers eux…
Et puis, avec la BLU, il était nécessaire de
parler chacun son tour, de relâcher la pédale du micro pour écouter l’autre.
Cela laissait le temps de penser un peu à ce que l’on voulait dire, le temps de
réfléchir à ce que l’autre avait voulu exprimer. C’était un peu comme écrire
une lettre et attendre la réponse.
Allô
Papa Tango Charly
10, 4 novembre 2005, Changement
d’heure
Dimanche dernier, après moulte discussions avec
votre entourage, vérification auprès des spécialistes patentés que sont le
grand-père retraité des chemins de fer, ou le sportif qui ne manquerait pour
rien au monde la retransmission de son émission préférée, vous avez pu,
conscience apaisée, retarder toutes vos montres pendules et horloges d’une
heure, vous avez dormi un peu plus longtemps, et vous vous êtes dit « Ah,
j’ai gagné une heure… ».
Une heure que vous aurez beaucoup de mal à
restituer dans quelques mois, au printemps, lors de l’opération inverse
maintenant habituelle.
Une fois de plus, les médias, les
pédopsychiatres, les mères de familles, les professeurs des écoles, les
éleveurs… discuteront à qui mieux-mieux de l’opportunité de ce changement qui,
comme chacun le sait, fait cailler le lait, perturbe le chant du coq et empêche
nos chères têtes blondes d’apprendre correctement leurs leçons…
Le navigateur, lui, a de la chance : Son
heure ne change pas, il est en temps Zoulou. C’est l’heure universelle, UTC,
l’heure GMT, ou Greenwich Mean Time. C’est LA référence, comme l’était le mètre
étalon en platine iridié déposé au pavillon de Breteuil, à Sèvres.
Cette référence est internationale depuis
le vingtième siècle, même si Paris et Londres se sont quelque peu chamaillées
pour placer leur méridien personnel…, même s’il a fallu corriger les quelques
secondes de différences dues aux irrégularités de la rotation de notre globe.
Il est midi, heure GMT, lorsque le soleil est
au zénith de ce fameux méridien de Greenwich, et ce quelle que soit la saison
ou l’âge du capitaine.
Et même si cette heure ne représente pas le
même moment de la journée suivant que l’on se trouve à La Rochelle, Hong Kong
ou Mexico, elle permet de disposer d’une référence absolue, stable, plus
indiscutable que la date exacte de l’origine de notre ère.
A bord, il existe trois indications possibles
du temps : l’heure locale, l’heure du port d’attache, et l’heure GMT. Si
les deux premières sont fonction d’une foultitude de paramètres, la dernière
est et reste la même pour tous
Cette pérennité va bien au marin, qui sait
adapter son rythme de vie aux éléments qu’il tente d’apprivoiser, et qui a bien
compris qu’en aucun cas il n’arrivera à modifier le cours des astres.
11, 11 novembre 2005, Arts Sauts
Ils ont amarré leur grand vaisseau blanc tout
rond à l’emplacement même du Grand Pavois. Grande voile gonflée et tendue, bien
ancrée sur ses boudins emplis de tonnes d’eau, la bulle des Arts Sauts abrite
ici, pour quelques semaines, une structure et un spectacle extraordinaires.
Mais ce qui est le plus intéressant pour nous, par rapport à nos propres
montages d’équipages, nos problèmes de réglages, de matériel, d’entretien…,
c’est la similitude de traitement des différents éléments qui composent ici un
bateau et un équipage, là une compagnie de spectacle itinérante et un collectif
d’artistes…
Aux Arts Sauts, chacun, qu’il soit spécialiste
de la voltige, du porté, de la musique, de la lumière…, peut aussi remplir, au
pied levé, les fonctions de plusieurs de ses co-équipiers. Il sait ce que
l’autre fait, ce que chacun attend de lui, ce qu’il doit donner et ce qu’il
peut recevoir. Tous participent au montage de ce bel outil, tous en ont été les
concepteurs, en réalisent les modifications et les améliorations. Tous ont dans
la tête l’ensemble de la chorégraphie qu’ils ont inventée, et ils en imaginent
en permanence les développements, dans une recherche ininterrompue du petit
plus qui pourtant ne les satisfera encore pas.
Le montage de la structure, ensemble de tubes
métalliques, de câbles et de bout’s, de ridoirs et de filets, d’espars et
d’agrès, requiert l’attention de toute l’équipe, qui aura confiance dans son
bâtiment, qui en connaîtra toutes les finesses, et qui pourra l’exploiter sans
arrière pensée, inventant continuellement, pour son plaisir et pour le nôtre,
d’impossibles arabesques.
J’ai trouvé quelques similitudes entre cette
équipe soudée et aguerrie, passionnée et ouverte, en quête de perfection et de
communication, prête à partir au bout du monde, et un équipage sur
l’embarquement. J’ai trouvé quelques similitudes entre l’aventure des Arts
Sauts et le montage d’une campagne de navigation, que celle ci soit en course
ou en croisière, simplement parce que, une fois le bateau parti, son équipage
doit pouvoir affronter toutes les conditions en autonomie, ce qu’il fera
d’autant mieux que la préparation aura été peaufinée.
L’un des jours de relâche, je leur ferai
découvrir
12, 18 novembre 2005, Transports
routiers
Maman les p’tits bateaux, vous connaissez la
chanson… Eh bien, à défaut de jambes, nos bateaux de Vendée Poitou Charentes
empruntent à la fin novembre des roulettes, et vont au grand rassemblement de
la Porte de Versailles, à Paris sur mer.
Une noria de véhicules, comme tous les ans,
transporte les derniers modèles terminés dans le plus grand secret,
ambassadeurs des espoirs de toute une profession.
Les autorisations doivent être obtenues en
temps et en heure, les convois n’ont rien à envier à ceux de l’airbus A 380,
les motards ouvrent la route ; la voiture pilote, plusieurs kilomètres à
l’avance, démonte les panneaux, sécurise des fils, vérifie que la configuration
du terrain est bien telle que prévue, et que le camion pourra passer sans
perdre de temps, et surtout sans risque pour son précieux chargement.
Un accident serait catastrophique, surtout pour
un nouveau modèle, et j’ai souvenir de ce camion de graviers qui avait heurté
et endommagé un Dynamique 52 à un feu rouge de l’avenue de Gramont, à Tours, et
qui lui avait fait une estafilade de plus de quatre mètres dans son beau bordé
tout neuf. Le bateau avait été exposé avec un grand calicot qui masquait
Pour peu que les intempéries s’en mêlent, la
transhumance vers la Capitale peut rapidement devenir un cauchemar, et les
grèves de toutes origines ont parfois donné du fil à retordre aux sorciers de
la logistique.
Mais le plus beau est sans doute le véritable
gin-cana que doivent réaliser certains convois à l’arrivée dans Paris. Le
spectacle de nuit est assuré, et l’on y retrouve souvent, au sortir d’un dîner
boulevard Montparnasse, des Rochelais de passage en train de commenter les
manœuvres précises et expertes des chauffeurs pour passer les derniers
obstacles. C’est un peu leur patrimoine qui vient ici s’exposer, et ils en sont
souvent légitimement assez fiers.
13, 25 novembre 2005, Escoff
Vous avez entendu les résultats de
Et les commentaires des médias, tout au long de
la course ?
On se serait cru, une nouvelle fois, dans la
configuration de la Route du Rhum 2002, celle au cours de laquelle une majorité
de multicoques de
Et pourtant, pendant ce temps là, les autres
concurrents engagés continuaient à exister, faisaient le gros dos, et géraient
en marins des conditions difficiles.
Franck Yves, qui a déjà gagné deux fois la
route du Rhum, mène sa barque avec le sérieux dont il a toujours fait preuve.
Avec sagesse, il a un peu levé le pied dans les moments difficiles, la première
semaine, pour pouvoir donner la pleine mesure de son bateau dès que les
conditions l’y ont autorisé.
Et Kevin, tout juste 25 ans, a eu le mot juste
devant cette première grande victoire pour lui : « Nous avons gagné dans
notre classe, mais chaque catégorie aura son vainqueur ». Humilité des
grands…
N’en déplaise aux commentateurs, attentifs dans
un premier temps aux seuls faits et gestes spectaculaires, il n’y a en effet
pas de « Catégorie Reine » dans cette épreuve. Surtout quand ladite
catégorie produit des bateaux dont seuls 40% sont capables de remplir leur
contrat sans risquer à tout moment de solliciter des moyens de sauvetage
extérieurs.
La leçon doit être méditée par tous, et il ne
faut pas faire n’importe quoi avec la mer et
14, 2 décembre 2005, Port vide
Vous avez vu le havre d’échouage, depuis
quelques jours ?
Vide et net, il laisse ses quais, ses murailles
et ses tours exprimer toute leur magie, au gré des marées.
La dernière fois qu’il avait été ainsi
dépossédé de ses locataires, c’était en 2000. Tous les 5 ou 6 ans, le Port de
Plaisance organise le grand chambardement des résidents, les déplace et les
amarre provisoirement aux Minimes, ou dans le bassin intérieur ou encore dans
celui des Grands Yachts, afin de pouvoir draguer la vase qui s’accumule,
assurer la maintenance des pontons ou leur remplacement.
Seul le bus de mer et le passeur ont encore,
pour quelques semaines, leur appontement, mais il leur faudra, en janvier
prochain, trouver un emplacement provisoire pour permettre la fin des travaux.
En mars, trois beaux pontons tout neufs seront
installés, pour remplacer ceux, un peu fatigués, qui sont les plus près de la
Grand’ Rive et qui attendent une retraite bien méritée Les autres équipements,
en stage aux Minimes, sont en cours de rénovation dans les ateliers de
Cette opération nous fait revoir et imaginer
notre port tel qu’il se présentait il y a seulement un demi-siècle, lorsque
Et si
Une évocation quinquennale d’un site préservé
comme celui là, dans son jus, ça vaut bien quelques efforts et quelques
concessions au coté pratique des aménagements modernes…
15, 9 décembre 2005, Salon de Paris
Ils y vont tous, ou presque…
Au salon nautique de la porte de Versailles, à
Paris, les cirés sont de sortie, et permettent de distinguer le visiteur qui
veut montrer qu’il est bien de la famille des navigateurs, des vrais, de celui
qui, blasé, arpente les allées de son quarantedouxième salon, après avoir
également participé à ceux de Londres, d’Amsterdam, de Gènes, de Düsseldorf,
et, pourquoi pas, d’Annapolis ou de Sydney…
Le visiteur terrien, qui voudrait tant être
marin, transpire au bout d’une demi-heure dans sa veste de quart toute neuve,
mais il a heureusement adopté des chaussures faciles à enlever et à remettre,
au cas où il parviendrait, après une patiente attente, à visiter LE bateau de
ses rêves.
L’habitué, lui, possède ses repères, le stand
ami où il laissera un parapluie ou un imper, où il apportera un sandwich et
prendra un verre, où, suprême reconnaissance, des amis de passage pourront même
lui laisser un message… Il sera alors passé du statut de visiteur lambda à
celui d’acteur, d’homme du sérail.
Il aura aussi ses repères, souvent des points
de ravitaillement, comme le jambon à l’os du bout du hall 2, le banc d’huîtres,
ou le fameux stand de foie gras et de vins du Sud Ouest. Il pestera parfois de
ne pas retrouver exactement la même implantation que l’an dernier, et trouvera
que, finalement, ce salon ou un autre, c’est du pareil au même…
Mais il ne manquera pas de s’attarder et
d’admirer la magnifique expo de photos « Antartica », qui crée des
embouteillages bien compréhensibles sur la passerelle.
Le salon de Paris, c’est le rendez-vous auquel
il faut être présent, même si ce que l’on y trouve n’est pas toujours nouveau,
qu’on l’a déjà vu au
Le salon permet de rencontrer, comme par
hasard, le voisin de rue ou de ponton, celui qui habite à deux pas, mais que
l’on n’a pas rencontré depuis des mois. Et l’on peut y saluer comme des amis
les professionnels rochellais, shipchandlers, voiliers, motoristes, puisqu’on
est tous un peu exilés sur la même barque, loin de nos tours rassurantes.
Heureusement, le salon est là, qui resserre les
liens qui auraient pu se distendre…
16, 16 décembre 2005, Sortie
d’hiver
Frisquet, ce petit matin. Le vent d’Est de
l’anticyclone d’hiver dégage un pâle soleil sur ce petit froid sec, la lumière
blanche et pure est belle, et la mer plate incite à croire que ce sera une
partie de plaisir… Alors, on va sortir, se donner une grande bolée d’air, se
prendre un peu pour un terre-neuvas, aller tirer quelques bords dans les
pertuis, partir sous spi, et revenir au louvoyage, l’onglée plein les doigts,
la tête un peu serrée par le froid, les yeux qui piquent et qui larmoient.
Deux ennemis à combattre : le froid, bien
sûr, mais aussi et surtout l’humidité, pernicieuse, celle qu’on ne sent pas
forcément tout de suite, celle qui s’insinue partout, dans le cou, devant,
derrière, et qui transforme une petite fraîcheur piquante en un insupportable
froid sibérien.
La première chose à faire, c’est d’éviter de se
mouiller. Alors, prudence de rigueur dans les manœuvres, ne s’aventurer sur
l’avant que si c’est absolument nécessaire, et seulement après avoir pris le
temps de bien s’équiper, de fermer les écoutilles, de mettre sa capuche
par-dessus le bonnet ou la casquette.
Parlons-en de la capuche : Considérée par
ses adeptes comme l’ultime rempart, elle abrite son propriétaire de tous les
avatars, elle le place hors du monde, avec les avantages et les inconvénients
de cette position privilégiée. La capuche protège, c’est vrai, mais elle
empêche d’entendre, de voir, de tourner la tête, de sentir dans les oreilles un
changement du vent, en force ou en direction. Elle isole du monde extérieur,
limite l’horizon et le champ de vision, rend rapidement sourd et aveugle,
indifférent à l’entourage, à ses exigences, mais aussi à ses beautés…
Indispensable subterfuge, la casquette ou le
bonnet écartent un peu la fameuse capuche du visage, s’y associe pour réaliser
un auvent, une sorte de marquise au-dessus des yeux, qui permet de tourner la
tête sans immédiatement se retrouver dans le noir…
Ainsi équipé pour le haut, le reste de
l’habillement suivra dans le même esprit, assurant protection et indépendance.
Et dès que le temps le permettra, j’enlèverai
ma capuche, et je profiterai tous azimuts de ma sortie.
17, 23 décembre 2005, Noël
1973, la
Whitbread, première course autour du Monde en équipage, s’arrête pour l’escale
de Sydney.
Les écarts de
temps entre
Il y a la
Rolls, « Sayula », un Swann 65 mexicain, qui arrive comme une fleur,
et semble prêt à repartir sur l’heure.
Grand Louis,
goélette moderne armée par
Au milieu de
toute cette armada hétéroclite qui déboule à Sydney en provenance de Cape Town,
ce mois de décembre 1973, je me retrouve un peu perdu parmi les grands, occupé
que je suis à préparer un départ pour
André m’a
rencontré sur les quais, et m’a tout naturellement invité au réveillon de Noël
à bord de Grand Louis, avec tout son équipage, toute sa famille.
Des bouteilles
avaient été sauvegardées, malgré les tempêtes de l’Océan Indien et les coups de
blues du pot au noir, Quelques plateaux de canapés circulaient, qui n’avaient
rien à envier à ceux de la réception au Consulat de France.
Malgré la
chaleur, il y avait de la buée aux hublots, sur lesquels on pouvait dessiner
des arbres de Noël. C’est étrange, avec le temps, je crois même revoir une
cheminée allumée dans le coin du carré…
On a déballé
des cadeaux pour chacun, on a parlé de la course, bien sûr, mais aussi de ceux
qui étaient de l’autre coté de la terre, si loin et si près.
Grâce à
l’amitié, à la l’ouverture des vrais marins, j’ai participé à un vrai conte de
Noël.
Je vous
souhaite d’en vivre d’aussi forts.
18, 30 décembre 2005, Fêtes
Si pour cette nouvelle année le vent te permet de toujours aller où tu
l’as décidé,
Si la mer elle aussi se met de ton coté,
Si les vagues ont choisi de te pousser plutôt que de te freiner,
Si le soleil, sans toutefois te brûler, accepte de te réchauffer,
Si toujours sous ta quille tu as suffisamment d’eau pour naviguer,
S’il ne t’est toutefois pas nécessaire de mouiller par grand fond,
Si la pluie emplit tes caisses sans te cingler les yeux,
Si ton skipper gentiment te réveille avec des œufs délicieux,
Si tes équipiers font leur quart sans te réveiller,
Si tu trouves pour la nuit une place dans le port de Saint Martin de Ré,
Si tes voisins partent au matin sans le moindre bruit,
Si tu découvre toujours pour t’accueillir le couple d’un bateau ami,
Si ton spi ne prend pas sa liberté sans crier garde,
Si la pompe d’eau du moteur n’avale pas des matières incongrues,
Si tu parviens à garder tes proches et tes amis malgré tes escapades,
Si en plus tu peux les leur faire partager,
Si toujours cette année tu peux naviguer en toute liberté,
Alors 2006 sera belle pour toi, ami marin.
19, 6 janvier 2006, Rois Mages
Vous avez déjà essayé vous, de retrouver en
pleine mer, un bateau ami, sans l’aide des points GPS précis à quelques mètres
près ?
J’ai une fois tenté l’aventure. Quelques jours
avant de boucler une sympathique traversée de l’Atlantique, on s’était donné
rendez-vous avec un autre traverseur sous un nuage caractéristique en forme de
triple tour. Malgré cette particularité qui semblait évidente, nos efforts
appuyés et l’aide de la VHF, on s’est rapidement rendu compte du coté quelque
peu utopique de nos prétentions, et on ne s’est finalement retrouvés qu’au
bistrot de Fort de France…
Les rois mages, grands et nobles navigateurs du
désert sur leurs chameaux, n’avaient ni GPS, ni decca, ni consol, ni gonio, ni
toran ou sidélis… Ils n’avaient sans doute pas non plus de compas ou de
boussole, dont l’apparition, bien que floue, n’est que beaucoup plus tardive.
Ils ignoraient le sextant, les tables HO 249 ou celles de Dieumegarde, la
Tamaya ou le starfinder de Hewlett Packard…
Pourtant, avec leur seule connaissance du
terrain, à l’aide de quelques indications glanées on ne sait où, on ne sait
comment, sur la présomption d’un événement qui devait faire grand bruit, mais
qui était quand même un peu secret, ils trouvèrent le moyen, en quelques jours
seulement, de dénicher l’endroit idoine, le lieu où ils devaient se rendre,
pour accomplir leur mission, celle qu’ils ne connaissaient pas, qui leur était
venue, un peu comme pour Harry Potter, par un message porté par le hibou de
l’époque, et auquel ils avaient cru.
Alors, imaginer qu’on va suivre l’alignement
d’une conjonction d’étoile et de planètes, se placer « juste
dessous », pour atteindre comme par enchantement le but recherché, quoi de
plus naturel ?
L’histoire est sans doute enjolivée, elle ne se
base peut-être que sur des affabulations. Mais elle existe, elle a bercé des
générations de petits et de grands enfants, croyants ou non croyants. On peut,
bien sûr, mettre en doute son authenticité, mais une certitude nous
reste :
Les rois mages étaient de sacrés navigateurs.
20, 13 janvier
J’ai eu, ou plutôt mon bateau a eu pour cadeau,
dans ces fêtes de fin d’année, un superbe document cartonné, relié, enluminé,
dont les pages encore vierges n’attendent que la plume du ou des rédacteurs qui
voudront bien l’ouvrir. C’est un livre de bord.
Comme qui dirait une future mémoire de mon
bateau, de ses petites et grandes histoires, de ses avatars et des bons soins
dont il aura été l’objet, des navigations entreprises, des difficultés
rencontrées, des échouages fortuits, des escales recommandées, des restaurants
à éviter, des bars à fréquenter, des douches accueillantes, des pontons agités
et des mouillages tranquilles…
Sur mon livre de bord, chaque page est divisée
en deux : une partie « sérieuse », avec des colonnes et des
rangées, des postes, des heures, des caps à suivre, des relevés de positions et
des conditions météorologiques. Ces annotations, qui sont d’ailleurs
obligatoires pour certaines catégories de navigation, permettent de retracer la
vie technique du bateau, et aident très efficacement à en connaître
l’historique.
Une autre partie, toute blanche, n’attend que
la bonne volonté de l’équipage pour être agrémentée des mille et mille petits
détails qui racontent une croisière, décrivent un lieu, permettent de sentir la
qualité d’un accueil, et d’en percevoir le goût de « revenez-y ».
Le pêcheur notera les positions secrètes du fameux
coin à bar, et la façon dont il a monté sa ligne, le technicien se souviendra
de la qualité des fonds, des alignements d’entrée qui permettent d’éviter un
caillou affleurant. Je conserve dans mes archives le livre de bord de mon
grand-père, embarqué en 1920 sur la Jeanne d’Arc, et annoté par le premier
maître en charge de l’instruction des midships. Les cartes sont redessinées,
les apparaux de mouillage détaillés, les manœuvres de la Jeanne et des navires
des autres nations commentées… Il s’agit d’un véritable journal,
méticuleusement tenu, et qui permettrait de retracer tous les événements
affectant, de près ou de loin, ce qui touche au navire.
Sans aller jusque là, j’ai bien l’intention de
remplir et de faire remplir, à partir de ce jour, le livre de bord de mon
bateau, et, contrairement aux années précédentes, j’espère bien aller un peu
plus loin que la dixième page…
21, 20 janvier 2006, Graphes
Suite à quelques soucis de structure du
bâtiment, et dans un processus de grande rénovation, Le Musée Maritime est en
travaux. Il devrait rouvrir à l’horizon 2008, ce qui nous laisse le temps d’en
avoir très envie.
Pour que nous ne restions pas totalement
frustrés, la frégate météo France et le chalutier de grande pêche Angoumois
restent ouverts au public, près du pont du Gabut, et nous admirerons les
expositions qui y sont organisées, sur la pêche rochelaise, les tempêtes et
sauvetages, Bernard Moitessier, bien sûr, et aussi ces peintures de vagues
réalisées par Fleury, qui a passé des heures sur le pont de France, alors en
service, pour retracer les humeurs de la mer.
Mais, autour du chantier du Musée maritime, sur
la palissade qui protège les travaux, j’ai découvert avec surprise une
exposition vivante, actuelle, une invitation au voyage, au rêve, à la gamberge
de bon aloi. Nico, Basile et Bernard, grapheurs de talent, qui ont déjà égayé
de nombreux endroits un peu glauques de la communauté d’agglomération, ont été
chargés par la ville de La Rochelle d’exercer leur art et de rendre à ces
vulgaires tôles un coté vivant et ouvert.
Peignant, pardon, bombant à main levée, ils
nous proposent des thèmes sur le remorqueur Saint Gille, d’autres sur des
personnages qui pourraient être des pêcheurs au travail ou en goguette,
évoquent des instruments de la marine ancienne, et nouent des nœuds
qu’Alexandre le Grand lui-même n’aurait su défaire, le tout sous le regard
inquisiteur d’une mouette rieuse que Gaston Lagaffe n’aurait pas désavouée.
Travaillant là après leur journée d’infographiste ou de créateur, ils sont un peu
tributaires des conditions météorologiques, mais la progression au fil des
jours et des semaines de cette grande fresque permet d’imaginer ce que vont
devenir les espaces encore blancs, de se faire son propre scénario, de le
comparer ensuite à ce que nos grapheurs vont effectivement inventer.
Un musée vivant, en extérieur, pourquoi ne pas
le faire durer aussi après les travaux ?
22, 27 janvier 2006, Marées
Les Méditerranéens trouvent cela à la fois
fascinant et magique, un tantinet déroutant pour leurs habitudes, et nous
traiteraient parfois de sorciers…
Les Malouins, avec leurs douze mètres de
marnage, considèrent que nous sommes des petits joueurs, et que nos paysages
marins sont presque statiques par rapport aux leurs.
Quand on parle de marées, de hauteurs d’eau, de
jusant et de flot, de pleine mer et d’étale, de morte eaux ou de grandes
marées, on glisse le doigt dans un secteur primordial non seulement pour la
navigation, mais aussi pour tout ce qui concerne la vie du bord de mer.
Le bassin intérieur du port de La Rochelle,
lorsque l’eau arrive jusqu’au-dessus des cales et des plans inclinés et que les
pontons surplombent presque le quai Valin, s’impose d’une présence encore plus
forte, et le bassin des tours, le havre d’échouage, quand il fait apparaître
les mystérieux méandres dans ses mottes de vase, et que les mouettes y laissent
leurs traces erratiques, évoque un je ne sais quoi de magique, deux fois par
jour renouvelé.
On sait, en fonction des heures de marée, si le
pont du Gabut risque de s’ouvrir à la navigation, de se fermer à la
circulation, le temps de laisser passer un plaisancier, un bateau de grande
croisière en escale prolongée, ou même un pensionnaire du Musée maritime qui va
vérifier en mer qu’il est encore capable de naviguer.
Et quand on passera le pont de Ré, en fonction
du vent et de la marée, on pourra s’attendre au ballet un peu fou des kite
surfs, ou aux arabesques des chars à voile sur la plage de Rivedoux.
Plus loin, au Martray, on prendra conscience de
l’isthme entre pertuis d’Antioche et Breton, et du fait que l’on peut toucher
la mer, de chaque coté de
La marée est un des acteurs majeurs de notre
cadre de vie, tous les jours, elle nous joue son rôle, et nous permet, en grand
régisseur, de profiter d’une infinité de décors.
23, 3février 2006, Programme
Arpenter les océans en course, quoi de plus
facile ?
La motivation est extérieure, elle est dictée
par un règlement, le parcours est défini, les escales précisées, le type de
bateau imposé. La date et l’heure du départ ont été fixées en fonction des
accords avec les médias, et de la disponibilité de l’inévitable grand
personnage qui aura la charge ou l’honneur de tirer le coup de canon
libérateur.
L’équipage a accepté, en connaissance de cause,
toutes ces conditions parfois draconiennes, dont il sait qu’elles dicteront
l’attitude du skipper. Il n’y aura pas à tergiverser, et tous les sacrifices
seront supportés au nom du résultat escompté.
En solitaire, la chose est paradoxalement
encore plus facile, et la difficulté apparente des problèmes techniques sera
largement compensée par la rapidité de communication avec le seul interlocuteur
disponible : soi-même…
Les acteurs de ces exploits attirent bien
évidemment l’admiration des foules en délire…
De mon coté, j’avoue bien volontiers un certain
penchant pour ceux qui ne font rien.
Il s’agit là d’un art très difficile, qui
demande une préparation hors du commun pour être bien interprété.
Réaliser une croisière sans but pré-défini
représente des prouesses d’organisation et de sens de la diplomatie familiale
et amicale. Les différents éléments d’un équipage de croisière auront tous des
motivations totalement disparates. Les uns préféreront l’escale tranquille en
rade foraine, les autres voudront à tout prix faire la fermeture des boîtes de
la station dans le vent, le technicien voudra bouffer du mille, le touriste
laisserait bien le bateau tout seul au mouillage quelques heures pour faire
aussi la balade à pied dont il rêve, et visiter le fameux monastère qu’il a
repéré depuis longtemps. Le gastronome, lui, vous traînerait bien dans tous les
établissements propres à satisfaire ses appétits…
La gestion de telles attentes, guidée par
les seules motivations profondes de chaque individualité, demande un charisme
et une autorité qui permettront de faire passer tous les compromis, de négocier
au mieux des circonstances, et de réussir une croisière dont on ne retiendra
que les moments les plus agréables.
24, 10 février 2006, Brumes
Hier matin, en descendant le long du canal
Maubec, le débouché sur le quai Duperré était tellement féerique que l’on était
transporté dans un autre monde.
La lumière de ce superbe début de journée
dévoilait juste le haut des mats de bateaux du bassin intérieur. Les pontons du
havre d’échouage, en cours de mise en place, semblaient comme enveloppés de
coton. Le pavillon national, fièrement établi plus haut, au sommet de la tour
saint Nicolas flottait, tout net, dans une atmosphère déjà pure et claire.
Dessous, on devinait à peine le chenal, dans l’espace entre les tours, et le
passeur arrivait de nulle part, comme sur un tapis volant, posé sur rien, dans
un invisible sillage.
Et puis, avec le réchauffement du soleil
d’hiver, le voile s’est tout à coup déchiré.
Rapidement,
alors que je m’étais posé pour
boire un petit café et jouir du spectacle, les contours se sont
fait plus nets,
les éléments qui étaient jusqu’alors
séparés se sont enfin reliés, se sont posé
sur leurs bases à nouveau visibles, ont repris leur forme, leur
dimension et
leur réalité. Les façades se sont aplaties sous la
lumière crue, et on a pu,
tout d’un coup, distinguer la limite entre l’air et
l’eau. On est redescendu
sur terre, on a retrouvé ses repères, on s’est
secoué et on s’est extirpé à
regret de ce rêve que l’on a contemplé les yeux
grands ouverts, et dont on
gardera en soi les images irréelles.
En mer, la brume représente bien sûr un danger,
elle doit être apprise, respectée et apprivoisée, elle peut, parfois, engendrer
quelques inquiétudes quant à la position du bateau, la proximité de la côte,
l’éventualité d’une collision.
Mais le spectacle qu’elle nous offre vaut bien
ces quelques indispensables précautions.
25, 17 février 2006, Oiseaux
Il est venu d’on ne sait où, et il a fait en arrivant
un barouf d’enfer, à tel point qu’on s’est dans un premier temps demandé ce qui
avait bien pu casser, la-haut dans le gréement.
Ce piaf insolent, inconscient, qui s’est posé
en catastrophe sur le pont du bateau, avait-il décidé de traverser
l’océan ? S’était-il laissé entraîner par quelque rafale venant de
terre ? Avait-t-il suivi un vol de cormorans ou une compagnie de mouettes
rieuses ? Il s’est blotti contre une écoute, vaguement protégé par une
hiloire, et il tente, à chaque mouvement désordonné du bateau, de garder son
équilibre par de petits mouvements instinctifs. Il n’est pas vraiment dans son
élément, ce moineau téméraire, et il voudrait bien surmonter son effroi
viscéral de l’humain, accepter cette main qui veut le prendre, doucement, le plus
doucement possible, pour le mettre à l’abri dans la cabine, avec quelques
miettes de pain et un peu d’eau douce.
Tout seul, par petits sauts, après quelques
glissades plus ou moins contrôlées, il va parvenir à franchir le seuil du
panneau d’entrée de la cabine, et il réalisera un véritable base jump pour se
précipiter dans le carré.
Ouf ! Une rapide visite des lieux lui
permettra de déterminer que le meilleur endroit, c’est bien le poste avant,
agité, certes, mais convenablement éloigné des activités suspectes de
l’équipage, qui fait pourtant tous ses efforts pour rester discret et respecter
la tranquillité de ce nouvel hôte.
Car le bord s’est brutalement senti investi
d’une mission de sauvegarde de ce petit bout de vie qui s’est confié à lui,
seule planche de salut envisageable dans sa situation désespérée. Et même les
équipiers réputés les plus insensibles fondront devant cette boule de plume,
s’inquiéteront de ses possibilités de récupération, se soucieront de l’entendre
se manifester, oublieront les éventuels petits souvenirs qu’il laissera sur un
coussin ou un matelas.
Plus tard à l’escale, notre invité quittera
discrètement le bord, et s’en retournera vers les siens, conter l’étrange
traversée qu’il n’aurait jamais osé rêver, et qui, peut-être, lui a fait
toucher de nouveaux rivages.
26, 24 février 2006, Mal de mer
Ils ne mourraient pas tous, mais tous étaient
frappés !
Ou presque… Car c’est bien là le lot commun à
tous les humains. Ils ont l’habitude d’avoir, sous leurs pieds, un sol stable.
Et il faut bien le dire, le pont d’un bateau est loin de répondre à ce critère
impérieux pour le confort et la sérénité de certains.
Car le mal de mer, sournois, guette, attaque et
terrasse celui qui s’y laisse prendre.
Il paraît que ce sont les canaux semi-circulaires,
centre de l’équilibre présent dans l’oreille interne, qui s’affolent lorsqu’on
perturbe leurs repères de terriens, et mettent un peu le souk dans notre
machine.
C’est tout d’abord comme un désintérêt général
pour ce qui se passe, une sorte de léthargie qui annihile toute volonté, un
bourdonnement interne qui prend le pas sur toute autre sensation. Ce sont, bien
sûr, les nausées, les désordres gastriques, une apathie générale. Et ça peut
continuer par une impossibilité totale à se supporter, allant même parfois
jusqu’à une volonté de passer par dessus-bord… Mais que suis-je donc venu faire
dans cette galère ?
Alors, comment réagir ? Se préparer,
embarquer en bonne forme physique, reposé, éventuellement aidé par un de ces
médicaments maintenant très efficaces et qui n’endort pas trop.
Prendre le taureau par les cornes, rester actif
et éveillé, se couvrir, sans toutefois s’engoncer dans des vêtements trop
serrés, se protéger du froid et surtout de l’humidité,
Regarder autour de soi, anticiper sur les
mouvements, ne pas capituler devant la vague traîtresse qui voudrait s’inviter
à bord et s’immiscer dans votre col.
Avoir confiance, confiance dans le matériel
auquel on se confie, dans l’équipage qui l’utilise, dans les capacités du chef
de bord ou du navigateur…
Ne pas tenter d’imiter celui qui n’a JAMAIS le
mal de mer, et qui travaille à la table à cartes, répare le moteur ou prépare
un petit frichti dans n’importe quelles conditions, avant d’être soi-même bien
amariné,
Et puis, ne pas oublier de manger, de
préférence des bonnes choses, si possible du chaud, pas bourratif, pas trop
acide, pas trop salé, juste quelque chose de bien, qui coule tout seul, avec
lequel on se fera un petit plaisir…
Et surtout, boire, boire de l’eau toute bête,
de l’eau plate, même si on n’a pas la sensation d’avoir soif, même si on n’en a
pas très envie…
Et si tout va très mal, profiter d’un
éclair de lucidité et de l’aide des copains pour aller s’allonger, et
s’endormir en attendant que ça passe… demain sera un autre jour !
27, 3 mars 2006, Alccols
C’était un jour, étant en pénitence, dans les
z’haubans, pour avoir fait bomban-an-ceuh, pour avoir bu sans permission, du
vin qu’il en restait dans le fond d’un bidon…
Les chansons de marins sont nombreuses, qui
évoquent le vin ou l’alcool, les virées à terre et les beuveries incontrôlées.
Le capitaine Haddock, lui, était furieux
lorsque Tournesol remplaçait ses précieuses bouteilles par les tôles de son
sous-marin révolutionnaire destiné à percer le Secret de la Licorne.
Dans Fleur de Passion, histoire de l’impossible
restauration d’un vieux gréement, l’auteur nous démontre qu’une bouteille
débouchée ne peut en aucun cas être refermée, et qu’il est indispensable, pour
ne pas risquer de renverser et de gâcher le précieux nectar, de la vider
consciencieusement. Le problème, c’est que les héros de ce merveilleux bouquin
débouchent les bouteilles sitôt que l’une d’elle voit son niveau commencer à
baisser…
Toute la littérature de marine met l’accent sur
l’importance du ravitaillement en alcool de l’équipage, et sur les horribles
conséquences d’une pénurie aussi faible soit-elle.
Et ne saluait-on pas les meilleurs manœuvriers,
ou l’homme de veille qui, le premier, avait aperçu la terre, par une double
ration de ratafia ou autre tord boyau ?
Mais qu’ont-ils donc, ces marins, à boire ainsi
plus que de raison ?
Peut-être n’est-ce là que le reflet d’une
époque ancienne, quand la vie de marin était très dure, tant physiquement que
moralement, que les protections contre les intempéries étaient bien faibles,
que les risques étaient énormes, toujours présents, que les navigations étaient
hasardeuses, incertaines, que l’éloignement des siens était long, très long,
que les liaisons avec un monde civilisé n’étaient possibles qu’en fin de
campagne…
Aujourd’hui, il n’y a plus de réelle raison à
entretenir de telles habitudes, mais on peut toujours fêter dignement le retour
d’une belle croisière, une mise à l’eau, une victoire en régate…
Et Yodlohh, et une bouteille de rhum !…
Avec modération…
28, 10 mars 2006, Petits plats
Bien que
C’est étonnant ce que l’on parvient à élaborer
dans un espace exiguë, avec, souvent, un simple réchaud à deux feux, et un plan
de travail emprunté à la table à cartes, au grand dam du navigateur…
Les meilleures recettes de bord seront
relativement basiques. Elles pourront s’accommoder d’un certain à peu près dans
leur réalisation, à peu près qui permettra au maître queue d’exprimer toute sa
créativité immédiate. Elles autoriseront le remplacement de tel ou tel
ingrédient par un autre, plus facile à transporter, à conserver et à mettre en
œuvre.
Si le résultat peut être servi pendant une
période prolongée, cela permettra aussi à ceux qui sont « de quart »
de régaler, un peu plus tard, leurs papilles. Les plats longuement mijotés sont
alors pain béni, car ils s’améliorent souvent lorsqu’ils sont réchauffés, quand
il en reste…
Une ancienne méthode consistait à préparer, à
la maison, une daube, une blanquette, un navarin, une de ces recettes de
Et la manière de faire bien et rapidement les
choses simples, c’est le secret du bonheur des équipiers. Un bête œuf sur le
plat, pour lequel on a émincé un petit oignon, fait revenir puis déglacer au
vinaigre une tranche de poitrine fumée (pas sous plastique, une vraie du
marché, que le charcutier a tranché à l’épaisseur voulue), que l’on a fait
cuire en deux temps, en réservant le jaune pour qu’il ne soit pas trop cuit… Et
l’on sert tout cela avec un toast grillé et un peu de beurre salé… Luculus
brunche chez Luculus… Le mouillage de Rivedoux ou de l’île d’Aix prend sa
troisième étoile…
Alors d’accord, les déshydratés, les plats tout
prêts, les trucs en poudre, ça peut permettre de se nourrir, mais un peu de
temps passé aux fourneaux, ce sera toujours magique.
29, 17 mars
Car Patrick l’Irlandais s’en revient, pour
mourir à Dublin…
C’était une chanson des frères Jacques, basée
sur les pérégrinations d’un marin irlandais, qui revenait au pays après avoir
couru les océans, les bonnes et les mauvaises fortunes.
Aujourd’hui 17 mars, ça ne vous a pas échappé,
c’est
Le patron des ingénieurs… Mais aussi et surtout
patron de l’Irlande.
Les
Irlandais sont proches de nous, leur île
posséde des façades maritimes importantes, superbes,
variées, parfois
difficiles à apprivoiser, avec des courants violents, des
cailloux et des
embûches partout, une météo délicate, une
visibilité qui peut être réduite à
presque rien…
Quand la radio britannique, la BBC, annonce
dans ses bulletins pour les zones « Sole, Lundy, Fasnet, Irish Sea…Gale
Warning (avis de tempête) », on sent comme un parfum de réelle haute mer
et d’aventure, comme si on était revenus dans des temps pas si anciens, où
Mais ça vaut le coup de se préparer, de partir
pour quelques semaines vers ces rivages un peu lointains, de longer la côte
sud, de s’arrêter à Kinsale, de connaître enfin le fameux phare du Fastnet,
perché sur son rocher escarpé, d’éviter les filets à saumon, de se faufiler
dans le canal Saint Georges, à l’est, entre les bancs de sable après Tuskar, et
de remonter jusqu’à Dublin, ou de pousser en Atlantique, vers l’ouest, après
Mizzen Head, jusqu’à Dingle et Westport, d’oser approcher les fameuses îles
d’Aran, quasiment inaccessibles en face de Galway et de ses labyrinthes de
récifs et de rochers.
Il aura fallu quelques jours de mer pour
arriver, ne pas s’être trop attardé dans le petit paradis des îles Scyllies, à
la pointe de la Cornouaille, avoir traversé, en général contre le vent, la mer
d’Irlande, ce qui aura soudé l’équipage, et bien fait mériter les soirées au
pub, noyées dans les chopes, les chansons et la bonne humeur.
Les Irlandais son accueillants et sympas, on y
est vite chez soi.
Ils sont d’ailleurs quelques-uns uns à naviguer
régulièrement dans nos eaux.
On pourrait l’été prochain, tôt dans la saison
pour profiter des immenses journées, naviguer pour de vrai, et leur rendre
visite chez eux.
30, 24 mars 2006, Ports de La
Pallice
C’était
avant le plan vigie Pirate et toutes
les contingences qu’il a développées.
C’était quand les pêcheurs du soir
venaient, à la nuit tombée, taquiner à la turlutte
les petits calmars sous le
pont qui mène au môle d’escale, quand son
accès était bien « réservé au
service », mais libre tout de même pour les amoureux
de ce site hors du
commun.
Lorsque des amis extérieurs à La Rochelle
venaient me rendre visite, que l’hiver réservait ses longues nuits froides,
ventées, pluvieuses, brouillardeuses, que les cargos déchargeaient, dans un
halo de lumière crue, sur cette île artificielle de béton, flottant sur un fond
de sable, leur cargaison venue de l’autre bout de l’Atlantique, de l’autre bout
du Monde, je les emmenais dans cette balade hors du commun, hors du temps, au
cours de laquelle on se sentait comme dans un film de Hitchcock, s’attendant à
tomber, au coin de chacun des hangars un peu lugubres, sur une scène
épouvantable que l’on redoutait en l’espérant secrètement…
Aujourd’hui, seul le port de pêche de La
Pallice reste accessible au public, avec ses petites cahutes ateliers bien
alignées, dans lesquelles les marins ou les artisans entreposent leurs outils,
filets, casiers, apparaux divers et variés. Les couleurs vives font un peu
penser à ces ports du Danemark, les filets en réparation, étendus sur le sol,
ne gênent personne,
Juste à coté, le parc des grumes, ces énormes
billes de bois, accueille les essences du Brésil, d’Afrique, du Canada,
d’autres pays lointains que je ne saurais même pas où placer sur une carte… Si
le vent est au nord, il m’apporte les odeurs un peu âcres et acides de ces bois
qui font voyager. Et je peux observer la noria des engins de manutention et des
camions dans un hors d’échelle qui ferait penser à des scarabées maniant des
brindilles avec leurs pinces.
C’est tout proche, c’est une découverte d’un
monde fascinant, c’est une des facettes importantes de notre relation avec la
mer.
31, 31 mars 2006, Météo et dictons
Aujourd’hui, c’est le 31 mars. Fin du mois des
fous, fin des giboulées ?
Ces derniers jours, on a été servi. Alors, on
reste pendu aux bulletins des diverses radios, on consulte les avis aux
navigateurs affichés dans les capitaineries, on écoute l’opinion des pratiques
locaux, eux qui, en principe, ne devraient pas se tromper… L’étude des
mouvements parfois erratiques de l’aiguille du baromètre devient une quasi-obsession.
Sur le bon vieil instrument anéroïde d’une des
îles des Glénans, il y avait un mot écrit à la main : « Ne me frappez
pas, je fais ce que je peux »…C’est tout dire…
Mais, de toute façon, c’est bien connu, qui
trop écoute la météo perd ses forces au bistrot.
Alors, pourquoi ne pas s’en remettre
directement, et souvent pour un résultat plutôt satisfaisant, aux conclusions
parfois alambiquées dans leur formulation, mais le plus souvent frappées de bon
sens, des dictons spécialisés :
Ciel pommelé, femmes fardées sont de courte
durée.
Le ciel est rouge, il fera beau.
Ciel en haubans, marin, prépare ton caban…
Tous ces adages, parfois péremptoires, sont, en
fait, le résultat d’observations locales sur des années et des années, par des
gens qui les ont concoctés après avoir effectivement constaté que les petits
nuages pommelés dans le ciel annoncent un changement rapide du temps, que le
couchant rouge fait espérer un lendemain ensoleillé, alors que le jaune pâle
peut laisser prévoir une dépression et un temps maussade, que les grandes
traînées verticales et grises indiquent à coup sûr la venue d’un grain qui
mouille…
Il
faut remarquer que les dictons s’occupent
beaucoup plus de prédire le mauvais temps que les conditions
dites « de
curé », ou « de demoiselle ».
Normal, car ce qui était jadis
nécessaire, c’était de disposer de signes faciles
à repérer, à mémoriser, à
interpréter pour savoir quand il y avait urgence à
prendre des dispositions de
sécurité.
Et puis, ne l’oublions pas : un troisième
enfant apportera plus de joie au foyer qu’un congélateur neuf… Oh,
pardon !, ce dicton là ne concerne pas le temps, mais il était dans un
almanach du Marin Breton des années 60, et il vaut son pesant de bigorneaux.
32, 7 avril 2006, Hauteurs d’eau
Il y a eu 115 de coefficient de marée, la
semaine dernière…
De quoi faire, pour les aficionados des calculs
de marée et des hauteurs d’eau, de quoi aussi donner des cauchemars aux
navigateurs néophytes. C’est pourtant simple. D’abord, on détermine, grâce à
l’annuaire des marées, le marnage du jour, c’est à dire la différence entre la
hauteur d’eau de pleine mer et celle de basse mer. Ensuite, on applique la
fameuse règle des douxièmes : 1, 2, 3… 3, 2,
Cela se complique un peu, parce que la marée ne
dure pas exactement 6 heures, mais ça n’est pas loin, il suffit de … Oh, et
puis zut !
Foin de règle des douxièmes, de sinusoïde, de
correction pour cause de vent d’ouest ou de dépression, qui augmenteront la
hauteur d’eau, de vent d’est ou d’anticyclone, qui feront découvrir plus, et
plus longtemps… Observons un peu ce qui se passe, regardons un simple barreau
d’échelle de quai, proche de la surface de l’eau, et qui nous indiquera tout de
suite, parce qu’il est mouillé, que la marée descend, ou, parce qu’il est sec,
qu’elle est en train de monter. Regardons la couleur de l’eau, qui est claire
quand elle vient du large, portée par le flot, trouble quand elle descend,
chargée des alluvions récupérés le long des côtes.
Il y a quelques années, j’avais emprunté un
bateau au
Les savants calculs, c’est bien, rester
attentif à la réalité des choses et à l’observation directe, c’est parfois plus
sûr et plus rapide…
33, 14 avril 2006, Fortune de Mer
Fortune de mer !
Curieux terme pour désigner un événement qui
devrait plutôt être qualifié d’infortune de mer…
C’est peut-être parce que, il n’y a encore pas
si longtemps, les habitants des zones côtières considéraient comme une bonne
fortune, à juste titre vu de leur clocher, tout ce qui leur venait de la mer et
qu’ils savaient, à l’occasion, profiter des opportunités que leur apportaient
parfois les éléments déchaînés, sous forme de navires marchands qui venaient se
fracasser sur les récifs.
A tel point que certains d’entre eux, las
d’attendre trop longtemps une hypothétique tempête, aidaient un peu la nature,
se transformaient sans scrupule en naufrageurs, et allumaient des feux pour
guider les navires vers des récifs meurtriers, dans le but inavouable mais bien
affirmé de les échouer et de les piller.
Aujourd’hui,
la fortune de mer, c’est un peu la
faute à « pad’chance », c’est
le terme consacré qui met en évidence
et officialise l’impossibilité d’attribuer un
sinistre ou un événement à un
élément
reconnu et avéré. Ce pourrait être une erreur
d’appréciation, une faute de
navigation, une collision pour défaut de veille, un
défaut d’entretien, le
vieillissement d’une pièce… Mais non, aucune de ces
causes ne peut être
retenue, et l’on est bien obligé d’accepter
l’inéluctable perfidie des éléments
occultes, l’action d’un gremling pernicieux,
l’influence d’un animal à longues
oreilles, le fameux cousin du lièvre, que l’on aurait
laissé s’introduire
clandestinement à bord…
La fortune de mer, c’est ce qui permet de dire
à son assureur « j’ai tout fait bien, je suis resté « dans les
clous », j’ai utilisé mon bateau en bon père de famille… et malgré ça,
patatras ! Le mat est tombé, le bout’ s’est pris dans l’hélice, l’OFNI
(objet flottant non identifié), a sauvagement attaqué mon bateau, une remontée
des fonds non prévue s’est dressée devant ma route… »
Cela peut, bien sûr, arriver au courts d’une
saison, mais n’invoquons pas trop la sacro-sainte « fortune de mer »,
acceptons nos propres responsabilités et retenons également la possibilité
d’avoir commis une erreur, cela nous permettra de ne pas la rééditer.
34, 21 avril 2006, Course Croisière
EDHEC
Ils sont venus, ils sont tous là…
Depuis les 19 équipages participant à sa
première édition en 1969, la course croisière Edhec a fait du chemin. Plus de
200 bateaux se donnent rendez-vous, tous les ans, un peu après Pâques, pour que
les « Edéchiens » en décousent sur l’eau, à grands coups de virements
de bord, d’empannages, de tribords et de départs parfois un peu chauds… Cette
année, c’est sur le plan d’eau de La Rochelle que se déroulent les débats et
les ébats de la sympathique horde des participants, et ils ont planté leur
grand tipi sur le terre-plain des Minimes, y assurant une certaine animation.
Pour les habitués, c’est le rendez-vous
incontournable, un de ceux qui vous inviterait à ne jamais envisager d’arrêter
les études, à prolonger ad-vitam le statut béni d’étudiant…
Pour certains, c’est une occasion en passant,
de mettre en valeur entre deux cours l’expérience acquise au cours de
navigations familiales, de faire un break avec les révisions, de rencontrer ses
copains dans un contexte différent.
Pour d’autres, c’est une première, un baptême
du feu, de l’eau, de la compétition, la découverte d’un monde inconnu, un peu
étrange et parfois hostile de prime abord, mais qui peut susciter des
vocations.
Pour quelques furieux du stick ou de l’écoute,
c’est leur véritable championnat du monde, pour lequel ils s’entraîneront dur
tout l’hiver, dans le seul but avoué et affirmé de gagner.
Pour un grand nombre, c’est une fête à terre,
une sorte de Fest-Noz ou de Happening, avec aussi quelques bateaux sur l’eau,
sur lesquels il faudra bien aller naviguer, parfois dans un état un peu second,
pour être à l’heure au départ de la première manche du jour.
Pour tous, c’est une formidable occasion de
réaliser un projet en vrai, avec des contraintes humaines, techniques,
financières, avec un réel résultat au bout, fruit de l’engagement de chacun des
participants de l’équipe qu’il a fallu créer pour l’occasion.
La course croisière EDHEC, c’est un
apprentissage de la vie active, dans les conditions du direct, c’est un espace
d’échanges et de convivialité, d’efforts et de découvertes.
Que du bonheur !!!
35, 28 avril 2006, Rayon vert
Le rayon vert, pour certains, c’est un peu le
monstre du Loch Ness.
Pourtant il existe, beau et fugitif, il se
mérite et, lorsqu’on a eu la chance de l’observer, on en retient à vie la
couleur, qui persistera comme une saveur, et l’on n’aura de cesse de retrouver
les conditions bénies dans lesquelles on pourra le traquer à nouveau.
Les beaux jours nous apportent enfin des
soirées ensoleillées et magiques, avec des couchers de soleil un peu tardifs,
qui permettent d’aller tranquillement à leur rencontre, de les attendre, de les
déguster, de les commenter.
Pas besoin de sortir en mer, il suffit de
dénicher un coin de côte dégagé, d’où il sera possible de voir le soleil
plonger directement dans l’Océan.
Il faut, bien sûr, que le couchant soit clair et
sans nuage, débarrassé de cette petite brumasse qui, souvent, vient
subrepticement, au dernier moment, en troubler la pureté.
Alors, lorsque le soleil va disparaître sous
l’horizon, qu’il n’en reste qu’un minuscule morceau, que son éclat peut enfin,
sans plus nous aveugler, se marier au bleu de l’azur pour créer une tache verte
un peu flashy, un peu « pré irlandais » tendre, qui remplace pour un
instant le jaune habituel, s’impose à notre regard et ajoute une nuance
nouvelle à notre palette de couleurs.
En mer, où il est plus facile de disposer d’un
horizon parfaitement dégagé, on est sur place, aux premières loges, pour
profiter de la moindre opportunité météorologique qui permettra le phénomène.
Le grand jeu, lors de certaines courses en solitaire du Figaro, consistait à
annoncer à la flotte qu’il allait y avoir, ce soir à 21 h 23, représentation
d’un coucher de soleil avec rayon vert… En général, ça marchait, et, le temps
d’un instant, la compétition était comme suspendue, les VHF muettes,
l’attention des coureurs concentrée vers ce point fugitif.
Les plus chanceux ou les plus doués
pouvaient même, dans certaines conditions, utiliser la houle pour profiter du
spectacle plusieurs fois en une seule soirée. Le temps d’une vague, en
changeant de position sur le bateau, il est possible de compter jusqu’à trois
représentations, la première en mettant son œil au ras du pont, une autre en se
dressant sur le roof avec une deuxième vague, la dernière en grimpant vite sur
la bôme, de manière à éloigner encore l’horizon et le moment inexorable et
magique du coucher de soleil.
Le Petit Prince en aurait sans aucun doute
admiré des centaines.
36, 5 mai 2006, Rencontres
Dans le désert, il ne se passe pas un incident
sans que, curieusement, une foule de témoins se manifeste, qui était là,
invisible mais bien présente, attentive à ce qui se passe sur son territoire.
En mer, on est rarement tout seul, et les
rencontres sont fréquentes, souvent pleines de vie, d’enseignements,
d’échanges…
Même en pleine mer ! Lorsque France, le
navire météo maintenant sagement amarré devant
Sir Francis Chichester, lui, s’invitait tout
seul à son bord. Pour son anniversaire, alors qu’il était en pleine course
transatlantique en solitaire, dans des conditions de confort, ou plutôt
d’inconfort spartiates, il se mettait en smoking et se faisait quasiment un
petit dîner aux chandelles entre Plymouth et Newport…
Avec les pêcheurs, les rencontres sont d’autant
plus facile et chaleureuses que l’on est plus loin des bases. En mer d’Irlande,
quand on croise un bateau immatriculé à Concarneau, Lorient, Paimpol, on peut
le saluer en VHF, et tailler une petite bavette avec lui. Dans certains cas, on
négociera du poisson frais ou quelques crustacés. Lors d’éliminatoires de
Tout n’est pas toujours rose dans les
rencontres en mer… Une fois, au large des côtes africaines, il m’est arrivé de
mettre en marche le moteur très rapidement, et de montrer, au petit matin, dans
un quasi calme plat, que mon bateau était mené par un équipage éveillé et
actif… Le chalutier à allure un peu pirate qui nous venait droit dessus a fait
demi-tour, je n’ai jamais su et je préfère ignorer quelles étaient ses
intentions initiales.
Dans les
rencontres, il n’y a pas toujours que des gentils Snarks, et il faut
soigneusement éviter les Boudjoums, comme le préconise Lewis Carol.
37, 12 mai 2006, Nœuds
Alexandre le Grand utilisait sa méthode
personnelle, expéditive, définitive, impériale : par le glaive acéré qu’il
maniait de toute la fougue de son bras de guerrier, il tranchait d’un seul coup
le nœud gordien.
Pour ne pas avoir à en arriver à de telles
extrémités, autant utiliser le bon nœud, au bon moment, pour le bon usage.
Les nœuds sont de diverses natures. Ils servent
à frapper un bout’ sur un point d’écoute, de drisse, d’amure, sur un œillet de
ris… Ils permettent de raccorder, d’assembler, provisoirement ou
définitivement, des éléments disparates. Ils sont indispensables pour amarrer
le bateau, poser convenablement une défense, assurer un équipement de pont…
Certains nœuds, anciens et maintenant quelque
peu inusités, sont de véritables œuvres d’art. Ils permettaient de transformer
un simple fil de caret, un bitord, un filin, un vulgaire cordage, presque une
ficelle pour ne surtout pas dire une corde, en un objet noble, empli d’une
réelle utilité, destiné à un usage bien particulier. Cette belle discipline, le
matelotage, c’était la signature du gréeur, le point d’orgue à l’armement d’un
nouveau bateau. Si les épissures classiques ne sont plus de mise, avec les
cordages modernes, il est facile de réaliser de très belles cosses et des
finitions impeccables, avec les aiguilles creuses adaptées au diamètre utilisé,
qui permettent de repasser l’âme du bout’ dans sa gaine. Et rien n’empêche de
fignoler une jolie petite surliure pour terminer de manière propre et nette une
extrémité de drisse.
Le fameux nœud de chaise, celui qui est mis à
toutes les sauces et qui peut, s’il est bien fait, se dénouer même après avoir
été fortement sollicité, est un peu le pont aux ânes, le théorème de Pythagore
du marin. Il reste la base de tout apprentissage, et les méthodes pour
l’enseigner et le mémoriser sont légion. Le serpent taquin qui sort du puits et
y disparaît après avoir fait le tour de l’arbre est un bon moyen de s’en
souvenir, sauf qu’on ne sait jamais dans quel sens faire le tour de l’arbre…
Si vous savez
aussi faire un nœud plat, à ne pas confondre avec le nœud de vache, le nœud de
cabestan, très utile pour les amarrages, et que vous pouvez réaliser à bon
escient une ganse, qui se défera en tirant simplement le bon bout, vous pourrez
oublier la méthode d’Alexandre, certes efficace, mais peut-être un peu brutale.
38, 19 mai 2006, Une belle histoire
C’est une belle histoire, une histoire de
course, de respect, d’amitié, de rapports humains.
A la fin d’une étape d’une course en solitaire
du Figaro, une option de navigation se présente, alors que j’étais, pas très
bien placé, en douzième position.
Au lieu de suivre mes prédécesseurs dans le
chenal principal, je choisis de tirer des bords dans un goulet étroit, parsemé
de cailloux, malgré les conditions difficiles de marée descendante et de jour
déclinant.
Ajoutez à cela que nous en étions au troisième
jour de course, et que le sommeil et la fatigue commençaient à s’accumuler.
Prenez également en compte que le GPS n’existait pas, que le pilote automatique
était un conservateur d’allure de l’époque, loin des performances de nos
appareils maintenant perfectionnés…
Je tirais mes bords avec la carte de détail
bien calée dans le fond du cockpit, une main pour la barre, l’autre sur
l’écoute de génois, une troisième occupée à assurer la bastaque, la quatrième
pour la grand’voile, la cinquième tenant fermement le mini compas de
relèvement… Vive Shiva ! Les yeux, un peu rougis par la veille prolongée,
le sel et la lumière, étaient fixés sur les réglages pour aller vite, sur la
surface de l’eau pour déceler les moindres frisottis annonciateurs de remontée
des fonds, sur les alignements de sécurité que je me fixais, et que je me
permettais parfois de dépasser.
Un
concurrent m’a suivi, et a mis son sillage
exactement dans le mien, quelques longueurs derrière. Un autre
l’a imité, s’est
écarté de quelques mètres du passage, et,
après avoir talonné durement, a pompé
jusqu’à l’arrivée pour étancher la
voie d’eau qu’il avait provoquée, et à perdu
plus d’une heure.
Avec mon poursuivant immédiat toujours bien
calé dans ma roue, nous sommes sortis de cette position délicate, et avons
constaté avec une certaine satisfaction que nous étions respectivement remontés
aux 4° et 5° places, et que nous naviguions en route directe vers l’arrivée,
distante de quelques milles.
Dans ces conditions de mer plate de vent léger
et de près bon plein, je savais que mon adversaire disposait d’un léger
avantage sur moi, et qu’il avait toutes chances de me dépasser. C’est alors que
je l’entendis m’appeler, et qu’il me dit simplement : « Laurent, tu
nous as fait gagner 8 places, fait ta route tranquillement, je resterai
derrière… ». Ce qu’il fit.
Il y aurait tant à dire qu’il n’y a pas de commentaire.
39, 26 mai 2006, Week-end chargé
C’est une
tradition, le Week-end de l’Ascension est animé dans les ports et sur le plan
d’eau des Pertuis.
La Semaine,
c’est aussi pour certains le point d’orgue des championnats d’hiver et de
printemps, la fin de la saison de course, après laquelle on mettra le bateau en
configuration de croisière, pour aller tranquillement explorer
Pour d’autres,
ce sera la seule occasion de l’année de se confronter en régate, de mesurer ses
performances, d’observer la manière d’exploiter une situation, un matériel, des
compétences, d’essayer d’aller le moins lentement possible d’un point à un
autre du plan d’eau. Ceux là, régatiers très occasionnels, peuvent participer
aux quatre journées de la Semaine, ou juste courir le fameux tour de l’île de
Ré, dont le départ est demain matin. Si le bateau n’est armé que pour une
navigation à moins de six milles d’un abri, ils participeront à la Ronde des
trois îles, qui se déroule dans le pertuis d’Antioche, entre Ré, Oléron et Aix.
Pendant ce
même grand Week-end, l’Ecole de Voile Rochelaise organise avec leur association
française la 6° Coupe d’Europe des patins à voile. Ces drôles d’engins, catamarans
de sport sans bôme, sans dérive, sans gouvernail, se manient par un unique
équipier et se dirigent par de subtils déplacements du poids et par le réglage
constant de
Une découverte
qu’il ne faut pas manquer, dès aujourd’hui.
40, 1° juin 2006, La loi du moindre
effort
On ne sait pas vraiment pourquoi, mais c’est
souvent comme ça : Si on part en croisière au louvoyage, contre le vent,
il y a toutes les chances pour que celui-ci tourne malicieusement juste au
moment du retour, et que, alors que l’on pensait pouvoir rentrer tranquillement
aux allures portantes, on ait à conserver bottes et cirés pour continuer de
naviguer dans des conditions inconfortables. L’un des grands principes d’une
croisière réussie, c’est de partir vent arrière, pour revenir vent arrière. En
effet, chacun sait depuis longtemps que la navigation contre le vent, c’est
deux fois le temps, trois fois
Comme en montagne, les distances ne se mesurent
pas directement sur la carte, en traçant une simple ligne droite. Il faut aussi
tenir compte des montées et des descentes, de la nature et des difficultés du
terrain, des avantages liés à un parcours un peu écarté de cette ligne droite.
Quand, lors de la course de La Rochelle à
Exploiter au mieux les éléments qui nous sont
proposés, s’en faire des alliés au lieu de les combattre, c’est choisir la
solution du moindre effort, et, même en croisière, cela permet de s’économiser,
d’épargner les forces de son équipage, d’être plus tôt à l’escale, de jouir
plus longtemps des endroits sympathiques, d’avoir l’occasion de faire plus de
rencontres, de découvrir des gens, de nouer des amitiés, de profiter des bons
moments.
41, 8 juin 2006, Pêche et plaisance
Nous sommes voisins…
Depuis maintenant plus de 10 ans, notre port de
pêche a déménagé des bassins de La Rochelle vers ceux de La Pallice.
Cela n’empêche pas pêcheurs et plaisanciers de
se retrouver toujours sur le même terrain d’activité, la mer.
Les activités des uns et des autres sont extrêmement
variées, que ce soit, pour les premiers, le chalutage sur une marée, la pose de
filets ou de casiers, la grande pêche dans des eaux lointaines, ou, pour les
seconds, la sortie de quelques heures, la pratique du dériveur, de la planche à
voile, ou du jet ski, la croisière familiale, le motonautisme, la régate entre
trois bouées ou la course au large…
Pour tous, les limites sont dictées d’abord par
la mer et par les éléments. Elles sont fonction, bien sûr, du type et de l’état
du navire utilisé, de l’armement et de l’équipement de celui-ci, mais aussi et
surtout des aptitudes, compétences et motivations de l’équipage.
Et ce quel que soit le genre de navigation
envisagé.
C’est bien là ce qui unit tous les marins dans
la même grande famille, celle de ceux qui, à partir du moment où ils ont largué
les amarres jusqu’à celui où ils ont achevé l’accostage à
Mais les marins dans l’âme, ceux qui sont
jaloux de leur indépendance et de leur libre arbitre, ne compteront que sur
eux-mêmes. Seul maître à bord après Dieu, qu’ils soient à la pêche, au
commerce, simples plaisanciers ou coureurs de haut niveau, ils savent tous que
c’est à cette condition qu’ils pourront continuer de naviguer selon leur propre
loi, qui est celle de la mer.
C’est cette caractéristique qui les rapproche
aussi d’autres êtres épris de liberté, comme les montagnards ou des marcheurs
du désert.
C’est elle qui unit des mondes dont les
motivations sont souvent apparemment bien différentes, et qui leur permet de se
respecter et de s’apprécier.
42, 15 juin 2006, Bonnes manières
Les croisières nous amènent à
partager notre espace vital avec d’autres navigateurs, tous embarqués avec la
même passion dans la même galère.
En mer, il existe un respect mutuel entre les
équipages. Ce respect, depuis la nuit des temps, se manifeste par le salut,
maintenant le plus souvent informel, un signe de la main, un simple regard, qui
montrent que nul n’est ici étranger à l’existence de l’autre. Ce salut peut
prendre la forme d’un véritable cérémonial, avec amené et envoi du pavillon
national, trois fois s’il vous plait, et réponse du navire salué. Un ex-pilotin
me racontait que, chargé de cette manœuvre sur un petit caboteur, il saluait
ainsi chaque navire croisé, mettant parfois les plus imposants dans l’embarras,
et les obligeant à trouver rapidement un matelot pour répondre dans les formes,
à la plus grande joie de l’équipage du chenapan. Rares sont les navires de
plaisance qui arborent encore correctement le pavillon national, celui du
propriétaire, le guidon du club, le pavillon de courtoisie lorsqu’il est
nécessaire. Pire, on voit parfois des plaisanciers ficeler grossièrement une
sorte de torchon aux vagues couleurs du pays visité, alors que la poupe reste
désespérément vide de toute marque nationale…
Le salut est aussi un élément de
sécurité : il incite à observer la mer, à effectuer une veille réelle, à
s’assurer de la présence des autres navires, et, de fait, à constater leur
bonne marche ou leur éventuel besoin d’assistance.
Au port, le voisinage et l’usage d’un espace et
d’équipements communs imposent quelques règles évidentes de cohabitation :
ne pas frapper son amarre par-dessus celle du prédécesseur, se mettre à couple délicatement,
en douceur, après en avoir demandé l’autorisation, autoriser le nouveau venu à
venir s’amarrer, et l’aider dans sa manœuvre, sans toutefois en prendre
d’autorité la direction… Le passage sur le pont d’un bateau se fera sur l’avant
du grand mat, ne serait-ce que pour faire preuve de discrétion, et il sera bien
de ne pas faire griller des sardines au vent de son voisin. Ou alors, invitez
le au dîner…
Nous savons que la mer est un révélateur des
capacités humaines, en équipage, et qu’elle exacerbe les tensions et aussi les
liens qui peuvent se créer entre les hommes.
Elle met en valeur les comportements vis à vis
d’autrui, ce que nos grand’mères n’auraient pas manqué de noter dans leurs
manuels des bonnes manières, qui auraient alors été agrémentés d’un chapitre
spécial : l’étiquette navale.
43, 22 juin 2006, Bobologie
La réglementation le dit bien, il faut
disposer, à bord d’un bateau, d’une trousse de pharmacie… Les textes indiquent
même quelques-uns de ses composants obligatoires…, et vogue la galère…
La pharmacie de bord est bien souvent négligée,
car, bien évidemment, nous sommes nombreux à penser que les accidents
n’arrivent qu’aux autres… Elle est alors désespérément vide, et les quelques
produits qui s’y battent en duel sont périmés, à moitié consommés, mal
rebouchés… Parfois au contraire, elle est tellement fournie qu’une chatte n’y
retrouverait pas ses petits, et qu’il faudrait être professeur agrégé de
médecine générale, avec toutes les spécialités possibles en prime, pour penser
pouvoir oser l’utiliser…
Indépendamment des règlements, une bonne
pharmacie de bord, ce n’est pas une accumulation de produits plus ou moins
connus, mais une liste de médicaments adaptés aux besoins effectifs du bord. Le
mieux, c’est de la personnaliser et de l’élaborer avec son médecin de famille
qui sait, mieux que personne, les particularités de ses patients.
Les incidents en bateau, qui relèvent pour la
plupart de la bobologie, sont de plusieurs sortes : contusions,
écorchures, blessures superficielles, brûlures et coups de soleil, ophtalmie,
et sempiternel problème du mal de mer. Plus rarement, un choc important
occasionnera des traumatismes sévères, avec entorses ou fractures.
Les produits indispensables de base sont
simples : antalgiques, désinfectants, bandes, adhésifs et compresses, bon
vieux système à endiguer les hématomes, souvent à base d’arnica qui sent bon,
kit à brûlures, protections solaires, pommades et collyres, pour la peau comme
pour les yeux, pilules ou potions magiques contre la naupathie et ses nausées…
La meilleure solution est d’établir, aidé par
un homme de l’art, le récapitulatif des médicaments contenus dans la boîte,
avec, en regard, leur utilisation. Une seconde liste regroupera utilement les
principaux maux dont on pense pouvoir souffrir, et, en parallèle, les
prescriptions correspondantes.
Comme pour tous les problèmes de sécurité, le
savoir-faire et l’expérience ne pourront jamais être remplacés par du matériel,
aussi performant soit-il.
La constitution intelligente de la pharmacie de
bord vous apprendra à savoir vous en servir, pour vous et pour les autres, en
espérant, finalement, qu’elle revienne intacte de votre prochaine croisière.
44, 29 juin 2006, SNSM
Il n’y a pas si longtemps, on les appelait les
« HSB », Hospitaliers Sauveteurs Bretons… Tout un programme…
En 1967, cette noble association, fondée en
1873, s’allie avec une encore plus vieille dame, née en 1865,
Les lourdes baleinières à rames des débuts,
lentes, difficiles à manier, ont, dès 1910, cédé la place à des canots à voiles
avec moteur auxiliaire, puis à des embarcations « tous temps » dans
les années 50. Les vedettes sont aujourd’hui insubmersibles, auto-redressables,
et peuvent filer à près de 25 nœuds vers les lieux de leur intervention, y
compris dans des conditions de mer très dures. De leur coté, les canots
pneumatiques permettent d’assurer des transferts en mer dans des conditions
optimales de rapidité et de sécurité.
Les équipes qui utilisent ces matériels,
formées de bénévoles parfaitement entraînés, sont opérationnelles et
interviennent moins de quinze minutes après l’alerte, de jour comme de nuit,
dans des circonstances parfois extrêmes. Elles sont le premier maillon d’une
chaîne de secours. Elles interviennent, évaluent l’état des personnes, donnent
les premiers soins, demandent au besoin l’assistance des pompiers ou du SAMU.
Le sauvetage des personnes en mer est gratuit,
quelles que soient les difficultés de l’intervention, les moyens mis en œuvre,
le temps passé… C’est une tradition ancestrale, une règle internationale. En
revanche, le sauvetage des biens donne lieu à une participation aux frais
engagés par la SNSM, selon un barème qui a maintenant été fixé par son autorité
de tutelle, le Ministère des transports. C’est ainsi qu’une intervention pour
récupérer un véliplanchiste son petit matériel est évaluée forfaitairement à 90
€, et que l’utilisation des canots, en fonction de leur importance, peut coûter
jusqu’à 400 € de l’heure. C’est beaucoup, mais c’est bien peu au regard des
compétences de l’énergie, des moyens qui sont mis à la disposition de tous.
Alors, bien sûr, il faut espérer que vous
n’aurez pas besoin de leurs services cet été, mais on ne sait jamais… Chapeau,
la SNSM.
En clair, la SNSM ne vit que grâce à vos dons, elle
a besoin de vous, comme vous pourriez avoir besoin d’elle.