25, 17 février 2006, Oiseaux

 

Il est venu d’on ne sait où, et il a fait en arrivant un barouf d’enfer, à tel point qu’on s’est dans un premier temps demandé ce qui avait bien pu casser, la-haut dans le gréement.

Ce piaf insolent, inconscient, qui s’est posé en catastrophe sur le pont du bateau, avait-il décidé de traverser l’océan ? S’était-il laissé entraîner par quelque rafale venant de terre ? Avait-t-il suivi un vol de cormorans ou une compagnie de mouettes rieuses ? Il s’est blotti contre une écoute, vaguement protégé par une hiloire, et il tente, à chaque mouvement désordonné du bateau, de garder son équilibre par de petits mouvements instinctifs. Il n’est pas vraiment dans son élément, ce moineau téméraire, et il voudrait bien surmonter son effroi viscéral de l’humain, accepter cette main qui veut le prendre, doucement, le plus doucement possible, pour le mettre à l’abri dans la cabine, avec quelques miettes de pain et un peu d’eau douce.

Tout seul, par petits sauts, après quelques glissades plus ou moins contrôlées, il va parvenir à franchir le seuil du panneau d’entrée de la cabine, et il réalisera un véritable base jump pour se précipiter dans le carré.

Ouf ! Une rapide visite des lieux lui permettra de déterminer que le meilleur endroit, c’est bien le poste avant, agité, certes, mais convenablement éloigné des activités suspectes de l’équipage, qui fait pourtant tous ses efforts pour rester discret et respecter la tranquillité de ce nouvel hôte.

Car le bord s’est brutalement senti investi d’une mission de sauvegarde de ce petit bout de vie qui s’est confié à lui, seule planche de salut envisageable dans sa situation désespérée. Et même les équipiers réputés les plus insensibles fondront devant cette boule de plume, s’inquiéteront de ses possibilités de récupération, se soucieront de l’entendre se manifester, oublieront les éventuels petits souvenirs qu’il laissera sur un coussin ou un matelas.

Plus tard à l’escale, notre invité quittera discrètement le bord, et s’en retournera vers les siens, conter l’étrange traversée qu’il n’aurait jamais osé rêver, et qui, peut-être, lui a fait toucher de nouveaux rivages.