35, 28 avril 2006, Rayon vert
Le rayon vert, pour certains, c’est un peu le
monstre du Loch Ness.
Pourtant il existe, beau et fugitif, il se
mérite et, lorsqu’on a eu la chance de l’observer, on en retient à vie la
couleur, qui persistera comme une saveur, et l’on n’aura de cesse de retrouver
les conditions bénies dans lesquelles on pourra le traquer à nouveau.
Les beaux jours nous apportent enfin des
soirées ensoleillées et magiques, avec des couchers de soleil un peu tardifs,
qui permettent d’aller tranquillement à leur rencontre, de les attendre, de les
déguster, de les commenter.
Pas besoin de sortir en mer, il suffit de
dénicher un coin de côte dégagé, d’où il sera possible de voir le soleil
plonger directement dans l’Océan.
Il faut, bien sûr, que le couchant soit clair et
sans nuage, débarrassé de cette petite brumasse qui, souvent, vient
subrepticement, au dernier moment, en troubler la pureté.
Alors, lorsque le soleil va disparaître sous
l’horizon, qu’il n’en reste qu’un minuscule morceau, que son éclat peut enfin,
sans plus nous aveugler, se marier au bleu de l’azur pour créer une tache verte
un peu flashy, un peu « pré irlandais » tendre, qui remplace pour un
instant le jaune habituel, s’impose à notre regard et ajoute une nuance
nouvelle à notre palette de couleurs.
En mer, où il est plus facile de disposer d’un
horizon parfaitement dégagé, on est sur place, aux premières loges, pour
profiter de la moindre opportunité météorologique qui permettra le phénomène.
Le grand jeu, lors de certaines courses en solitaire du Figaro, consistait à
annoncer à la flotte qu’il allait y avoir, ce soir à 21 h 23, représentation
d’un coucher de soleil avec rayon vert… En général, ça marchait, et, le temps
d’un instant, la compétition était comme suspendue, les VHF muettes,
l’attention des coureurs concentrée vers ce point fugitif.
Les plus chanceux ou les plus doués
pouvaient même, dans certaines conditions, utiliser la houle pour profiter du
spectacle plusieurs fois en une seule soirée. Le temps d’une vague, en
changeant de position sur le bateau, il est possible de compter jusqu’à trois
représentations, la première en mettant son œil au ras du pont, une autre en se
dressant sur le roof avec une deuxième vague, la dernière en grimpant vite sur
la bôme, de manière à éloigner encore l’horizon et le moment inexorable et
magique du coucher de soleil.
Le Petit Prince en aurait sans aucun doute
admiré des centaines.